J’ai testé pour vous : La caverne de Platon

Récemment j’ai eu le privilège de vivre une expérience de réalité virtuelle immersive dans un des rares laboratoires français équipés. Cela s’est passé  dans un centre d’imagerie en province qui possède une de ces installations produites par la société belge BARCO, vous savez la même qui commercialise ces tableaux blancs dont ils ont hérité le nom (comme frigidaire, escalator, botox, kleenex, pédalo, caddie… bon OK j’arrête, ce n’est pas le sujet et pour ceux que ça intéresse voici la liste ici).

L’installation est appelée le CAVE (prononcez à l’anglaise je vous prie et ne confondez pas comme moi au début avec la ville de Kiev…) pour Cave Automatic Virtual Environment. En l’occurrence notre CAVE avait 5 faces (le plafond n’était pas pris en compte). Donc un chouïa moins développé que le CAVE de PSA par exemple, qui lui a 6 faces.

Matériel requis: lunettes 3D avec 6 branches ampoulée et lumino-réfléchissants à l’extrémité pour que 4 caméras enregistrent les mouvements de la tête en trois dimensions, patins aux chaussures pour ne pas détériorer le sol et accessoirement un achat à 1.5 million d’euro prix catalogue pour une maintenance de plusieurs milliers d’euros par an et des lampes ruineuses qui ne durent que 15 000 heures, sans compter le système de réfrigération…

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Que ressent-t-on dès les premières minutes ?

Déjà on est bluffé par la fluidité et la réelle sensation de volume autour de nous. On est à l’intérieur d’un cube mais c’est en fait un véritable espace sans limite qui s’offre à nous. Un Joystick permet de faire défiler les surfaces ce qui ouvre de nouvelles applications comme la conception d’automobiles ou la pénétration à l’intérieur d’installation nucléaire.
Le cerveau est même en alerte lorsque des objets sont sur le point de vous heurter ou bien lorsque vous essayez de concilier l’impression de relief dans vos yeux et la présence spatiale bien réelle de votre main qui sans cesse semble repousser l’objet qui pourtant est perçue comme étant à la même place…Les premières secondes pourraient s’intituler « panique à bord » mais après cela devient très très jouissif !

En tous cas vu de l’intérieur du cube et avec les lunettes.

Mais quelle est la réalité pour les autres qui vous regardent, à l’extérieur du CAVE ?

En fait on assiste aux déambulations de quelqu’un qui se balade dans une pièce de 16 m2, qui place ses mains en l’air, sourit béatement, tente d’éviter on ne sait trop quoi (puisque la pièce est strictement vide). C’est assez bizarre au final.
Le plus déstabilisant est que, vu de l’extérieur toujours, les projections des images 3D se déforment en fonction des mouvements de la tête de l’expérimentateur. Tout l’univers du cube est recalculé instantanément sur les 5 faces pour fournir au seul regard de l’individu une cohérence géométrique telle, qu’elle se confond avec les perspectives réelles. L’expérimentateur devient le centre de son monde (virtuel) – même dans ses tentatives ridicules d’éviter une table alors que, dans la vraie vie, le champs est libre…

Et là, au milieu de cette ultra haute technologie, je me suis mis à penser à deux choses:

  1. La Caverne de Platon
  2. « C’est pour moi que le monde fut créé ! » (Mishna, Sanhedrin 4:5)

Souvenez-vous de la Caverne de Platon: elle symbolise le monde sensible où les hommes vivent et pensent accéder à la vérité par leurs sens. Quoi de plus réel que leurs ombres et ces bribes de lumières imprévisibles et incompréhensibles ? Mais quand tout à coup un des leurs, échappé miraculeusement de ce mirage, vient leur révéler la supercherie, l’étroitesse de leur monde et leur situation misérable, il se heurte immédiatement à l’hostilité de ses semblables, bousculés dans leurs habitudes, leurs certitudes et leur illusoire confort.
Extrapolez à une société dans laquelle chaque citoyen ne verrait son prochain qu’au travers d’un prisme déformant, et imaginez les efforts et les souffrances pour les enlever et contempler le monde tel qu’il est vraiment. Que dit Platon en somme ? Que notre réalité n’est qu’une déformation d’une autre plus riche, plus complexe, plus profonde mais que nous sommes pourtant incapables d’appréhender. C’est un sujet maintes fois repris, et pour ne citer que lui, Descartes dans ses « Méditations métaphysiques » applique même cette question pour mettre en valeur son célèbre doute méthodique et aboutir à son cogito ergo sum, ‘je pense donc je suis’, seule réalité indépendante de la perception.
La caverne de Platon fait étrangement écho au Sefer HaYachar (chapitre 12) qui utilise la même parabole de la caverne (qui s’est inspiré de l’autre est une autre question) pour expliquer en quoi le Olam Haba (le monde à venir) est hors de l’ entendement humain.
D’ailleurs à ce sujet je me suis toujours étonné que le message porté par Platon ou le Sefer HaYachar  dans leur allégorie commune soit l’opposée de  l’aventure vécue hélas par Rabbi Shimon Bar Yohaï et son fils, Rabbi Eléazar, à qui il fallut 12 ans de cachette dans une caverne pour s’ouvrir au monde mystérieux de la Kabbale et découvrir une réalité encore plus flamboyante. Ce n’est pas la caverne platonicienne qui débouchait vers le soleil éclatant du dehors mais ironiquement l’obscurité glaciale d’une grotte qui permit au Rachbi d’atteindre une clarté encore inédite.

Mais pour l’un comme pour l’autre, le principe reste le même : s’extraire de notre contexte pour réaliser l’existence d’un autre qui contenait le précédent. Cela demeure un jeu de l’esprit vieux comme le monde et dont par exemple la trilogie Matrix s’est servi comme base narrative (tout comme l’étourdissant Inception ou le dernier Sucker Punch mais je m’égare).
Le CAVE est alors une parfaite démonstration  d’un environnement à la fois virtuel pour celui qui en est le spectateur, réalisant que l’illusion ne vaut que dans le cerveau de l’expérimentateur, mais aussi parfaitement réel pour celui qui porte les bonnes lunettes, et qui peut croire que tous partagent sa réalité. Inverser maintenant les tendances et ne laissez qu’une seule personne sans lunettes dans un cube gigantesque. Entendez-le hurler à ces contemporains que leur contexte n’est que mirage…Qui croire vraiment?

Quant à la référence à la mishna, c’est parce que finalement, l’expérimentateur est par définition au centre de l’aventure qu’il doit vivre. Il est le référentiel sur lequel va se baser le calculateur pour distordre les images de manière ad hoc.
Conséquence, tout ce qui l’entoure – dans la mesure de ce qu’il en perçoit – n’est que le résultat de sa volonté et de ses actions. S’il tourne son regard à gauche, les éléments virtualisés se meuvent en fonction. Or notre Mishna nous enseigne que l’homme est au centre de l’univers à chaque instant parce qu’il est en mesure de l’améliorer par ses bonnes actions et de contribuer à la guéoula (rédemption) finale. Simultanément le monde qui l’entoure est un monde spécialement, spécifiquement, uniquement présenté comme tel dans un but bien précis. Un Supercalculateur là-haut, a tout agencé pour que là, maintenant à cet instant vous vous retrouviez à lire ces lignes et à penser ce que vous pensez. De par notre libre-arbitre, il se trouvera toujours une multitude de chemins du plus vicieux au plus vertueux et c’est cette « mise en situation » qui va permettre de vous prouvez si vous valez ce que vous croyez valoir. Objectivement et sans appel.
C’est un peu une leçon de Vie : notre existence est une énorme séance de Travaux Pratiques pour réussir à concrétiser nos bonnes actions ou au contraire échouer à les réaliser. Si nos TP sont couronnés de succès, l’examen final, passés 120 ans, ne sera qu’une simple formalité.
Hillel Hazaken disait lors des festivités de Simchat Bet Hachoéva (Traité Souccot 53a) :

« Si je suis ici, tout est là; et si je n’y suis pas, personne n’est là« 

Bien loin de déclamer un orgueil incommensurable ou un égo surdimensionné que l’on ne retrouve que chez les médiocres, Hillel vient signifier ici que le monde entier doit être investi par chacun d’entre nous. Qu’il est hors de question de se laisser porter par le courant, d’être le spectateur de sa propre vie. Parceque le monde a besoin de chacun d’entre nous et qu’il n’a de sens que si on le remplit de nos actions bienfaisantes commandées par Dieu.

C’est à tout cela que j’ai pensé lorsque j’évoluai dans ce monde ultra-réaliste et pourtant totalement abstrait : Et si en fait nous enlèverions nos lunettes (et nos patins !) pour découvrir que ce monde ci n’était qu’un hypercube  du monde futur, à l’extérieur duquel les armées divines nous contemplaient ?

À propos trente-trois
Papa encore trentenaire, contrarié et jamais contrariant, je souhaite pouvoir dégager suffisamment de temps pour pouvoir aborder tous les sujets qui me questionnent, m'interrogent et me révoltent (car oui, camarade, ça me révolte). Conscient que cette description est pour le moment inintéressante, je vous engage à œuvrer dans les commentaires qui vont suivre pour en savoir plus...

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